03/14 Fondation Cartier Paris

Films de famille

Circuit-Court propose une excursion dans l’univers calfeutré et privé de la famille. Le public pourra découvrir une exposition-installation de films de familles et assister à une projection familiale à 21h. ces films anonymes seront montrés par Claude Bossion et Philippe Stepczak dans un décor anonyme et familial : Rien de spectaculiare, juste du quotidien.

Dans une chambre à coucher, on peut assister, en 36 minutes et à 18 images par seconde, au déroulement de la vie d’un militaire français à Madagascar dans les années 50-60. Au salon, on verra un film de mariage qui a é&té trouvé au marché aux puces de Berlin et la reconstitution cinématographique d’une émission de variétés télévisée. Ailleurs, on pourra observer le rituel de l’arbre de Noël et la découverte des cadeaux par Valérie. Plus loin, on étudiera la cérémonie du dimanche à la campagne, la valse des vieillards, la première communion de Babeth...

A travers ces images prises au cœur de la banalité familiale, c’est une fenêtre qui s’ouvre à la fois sur un document historique, social et culturel., et c’est une fiction ouverte qui est proposée à elui qui saura se laisser entrâiner par cette dérive d’images sans lieu, sans auteur, sans narration.

C’est presque une invitation à la méditation extatique face à un miroir.

Le rendez-vous des familles de Circuit-Court

Fidéle aux situations saugrenues, Circuit-Court s’était déjà fait remarquer aux Soirées Nomades à travers une programmation de films, pour reprendre une qualification propre à Musil "sans qualité". depuis ce temps, l’association a rayonné dans différents lieux institutionnels ou underground, en confrontant des expériences tant subversives que ludiques autour d’une économie des moyens rendue possible par l’emploidu film super 8.

Le processus est é&lémentaire : trouver et archiver des films de famille anonymes, comme on rassemble une collection d’objets trouvés, puis les montrer dans leur état originel. L’enjeu de Circuit-Court sur cette programmation consiste à transgresser un objet à usage privé vers une représentation à caractère publique. revisiter l’univers intimiste d’un film de famille à travers l’installation d’un refuge imaginaire, celui d’un appartement-témoin. orcherstrer une peinture sociale qui explore, sans mise en scène a-priori, les instants fugitifs d’un vécu sur un décor consciencieusement préparé, celui de l’appartement témoin d’une famille fictive. Found footage ou Ready-Made assistés, ces films sans date sont aussi les témoins anthropologiques d’une famille moyenne dans l’occident de cette fin de siècle. cette pratique vernaculaire dans la fabrication d’images échappe à une conscience esthétique affirmée, bien qu’elle reproduise avec maladresse des modèles standardisés. En configurant une forme au temps vécu, ces portraits de famille, souvent filmés de manière aussi intuitifs et immédiats qu’arbitraires et involontairessont l’expression d’un moment proprement humain. L’innocence ou l’impudeur de ces images ne s’expose que de façon très lointaine aux normes filmiques préétablies par les professionnels de la profession. Présenter ces films d’anonymes pose la question de l’impostre par la réappropriation. en conséquence, celui qui exécute l’objet n’est peut-être pas celui qui en saisit la portée.

De ces gestes tantôt simples et maladroits naissent des images d’une modestie attachante, qui parfois basculent dans une trivialité dérangeante, renvoyant le spectateur à son statut de voyeur inavoué.

Refonder un regard sur l’ordinaire, le presque rien, transfigure la banalité en convivialité sociale. a travers l’acte d’ppropriation, Circuit-Court subvertit le reflet d’un inconscient collectif. S’il apparaît une convention à tous ces films, celle-ci n’existe qu’à travers la forme : les mêmes événements produisent très souvent les mêmes types d’images qui se manifestent en valeurs symboliques des comportements de la vie domestique. L’analogie des ieux communs entre tous ces films affirme leur caractère universel et construit une mythologie de la famille. le film de famille s’institue comme un rituel, une célébration du culte domestique dans lequel la famille occupe la position à la fois d’auteur et d’acteur.

En se réappropriant les films des autres, Circuit-Courtparvient à renforcer une position qu’il a sans cesse tenté d’énoncer, celle d’une esthétique du presque rien.

Maeva Aubert

Mise à jour: jeudi 14 mars 1996